Mon monde était fait de douces collines et de vallées, un paysage aux teintes estivales, baigné dans une lumière glorifiante. Je me balançais doucement sur ma mince vigne, ressentant la caresse légère du vent. La nuit, il y avait une lueur douce autour de moi, rien de dramatique, juste une lueur faible. Parfois, des papillons de nuit voletaient près de moi, attirés mais n'osant jamais se poser.
Il y avait d'autres êtres, bien sûr. Mes frères et sœurs, dispersés tout autour avec un sens agréable de l'ordre, leurs formes reflétant la mienne, bien que moins uniques.
J'étais content dans mon poste d'observation. Tout était juste comme il se devait. Tout à sa place, et moi au milieu.
Le Jardinier était le plus prévisible. Chaque matin, ses grands pas résonnaient sur la terre douce en dessous. Son pouce calleux caressait mes frères et sœurs, caressait les animaux, leur parlait. Je ne m'inquiétais jamais pour personne.
Puis il y avait elle. La Femme du Jardinier, tout en mouvements doux et aux cheveux de la couleur de la terre sèche entassée près de nos racines. Sa voix était un chant d'oiseau comparée à sa rudesse. Parfois, elle s'allongeait sur l'herbe en dessous de moi, si près que je pouvais presque sentir sa chaleur. Elle regardait vers le haut, mais ne semblait jamais vraiment nous voir - seulement l'espace entre les feuilles, des fragments du ciel toujours changeant.
Le Propriétaire, je l'entendais seulement. Un grondement de voix qui flottait à travers le jardin chaque après-midi. Une voix grave, imposante mais calme et apaisante. Notre vie était simple, notre but clair. Je devais rester là où j'étais, eux devaient rester là où ils étaient. Des voisins amicaux, mais respectueusement distants.
Puis il y avait les visiteurs. Les écureuils avec leur agitation frénétique, grimpant sur tout et tout le monde. Les oiseaux qui se perchaient près de moi, leur bavardage aigu s'estompant lorsqu'ils s'envolaient.
Une fois, il y avait un animal qui se déplaçait avec une grâce silencieuse différente de tout ce que j'avais observé. Il s'enroulait et se déroulait parmi nous, ses écailles captant la lumière du soleil comme des ondulations sur l'eau. Je ne l'ai jamais entendu parler, mais il y avait une aura de connaissance dans ses yeux sans cligner des paupières, une étrangeté qui me rendait mal à l'aise. Il revenait sans cesse, son regard persistant sur moi même en plein jour. Contrairement aux papillons de nuit, il ne semblait pas attiré par ma lueur. Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il y avait quelque chose de sinistre derrière son intérêt.
Finalement, il est revenu avec la Femme du Jardinier. Jamais auparavant je n'avais ressenti de la peur. Jusqu'à ce que son regard se pose directement sur moi. C'était comme si le soleil m'avait choisi parmi tous les autres innombrables. Un silence assourdissant s'est abattu sur mon monde. Sa main, délicate comme l'aile d'un papillon de nuit, se tendit vers moi. Il n'y avait aucun son, mais je sentais le changement. Un changement dans l'air même. J'aurais crié si j'avais pu. Les doigts délicats se refermèrent autour de ma tige. Avec une torsion, j'ai été arraché. La lumière est devenue crépuscule, les teintes estivales vibrantes sont devenues sombres. La sensation de tomber, l'impact écrasant alors qu'elle mordait dans ma chair... et avec cela, un afflux de connaissance. Pas de moi-même, mais du monde, des conséquences, du choix. Mon jus gouttait sur le sol, une tache contre la perfection du jardin.
Je n'étais plus, mais en mon absence, quelque chose de nouveau avait germé. Un terrible, déformé sens de la liberté. Le goût persistait, non pas de douceur, mais de possibilité, un arrière-goût aigre-doux qui se répandait jusque dans les racines même de ce paradis. Le monde au-delà des murs du jardin scintillait, un mirage flou attirant avec des promesses et des périls. Et quelque part, un serpent souriait.
F. D
(Fruit Défendu)
